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Culte du dimanche : Le Narcisse Noir

posté le 18/03/2012

A l’occasion de sa sortie en bluray le 7 mars dernier grâce Ă  Carlotta Films, revenons sur le chef d’œuvre du duo britannique Emeric Pressburger et Michael Powell : Le Narcisse Noir.

Avant le laisser complètement Ă©clater leur style artistique flamboyant avec Les Chaussons Rouges, Emeric Pressburger et Michael Powell ont dĂ©jĂ  pris le temps rĂ©volutionner le grand cinĂ©ma britannique. Le Narcisse Noir en est l’exemple parfait tant son esthĂ©tique et sa thĂ©matique ont marquĂ© les cinĂ©astes d’aujourd’hui. Une pièce aujourd’hui mĂ©connue du grand public mais un classique immanquable pour tout cinĂ©phile, dont la beautĂ© saisissante n’a de cesse de fasciner.

AdaptĂ© du roman de Rumer Godden, Le Narcisse Noir voit une congrĂ©gation de religieuses britanniques chargĂ©es de se rendre dans un ancien harem situĂ© sur les contreforts de l’Himalaya pour y Ă©tablir un dispensaire. Face Ă  l’exotisme et Ă  l’isolement, leur foi va petit Ă  petit laisser place Ă  des sentiments bien plus humains. La dĂ©votion complète remise en question, voici une thĂ©matique chère au duo (dĂ©votion Ă  la religion ici, Ă  l’art de la danse dans les Chaussons Rouges) qui va ici ĂŞtre abordĂ©e de manière Ă©tonnante.

Alors que l’Ă©quipe technique pensait devoir aller tourner en Inde pour les besoins du film, Emeric Pressburger et Michael Powell dĂ©cidèrent de ne pas sortir du Royaume-Uni et de tout filmer en studio afin d’avoir la main mise complète sur les dĂ©cors, l’Ă©clairage, le vent, … Un parti pris audacieux qui donnera au film tout son cachet. Car sans aller Ă  l’Ă©tranger, tout est reconstruit sur place avec une grande prĂ©cision, mais surtout les paysages que nous verrons dans le film seront des miniatures et trompe-l’œil incroyablement rĂ©alistes tout en gardant un cachet Ă©trange donnant au film une allure de conte irrĂ©el.
Il faut dire que le directeur de la photographie Jack Cardiff fait aussi beaucoup pour Ă©clairer les dĂ©cors mais aussi les acteurs avec une lumière somptueuse, donnant toutes ses lettre de noblesse au Technicolor avec une prĂ©cision incroyable. Sa gestion des couleurs mais aussi de l’obscuritĂ© apporte au film toute sa profondeur d’Ă©trange rĂŞve Ă©veillĂ© basculant doucement dans le cauchemar.

Mais il n’y a pas que la technique. Car derrière l’esthĂ©tisme du Narcisse Noir, il y a aussi et surtout une histoire passionnante. A l’Ă©poque, les mĂ©los exotiques qui permettaient de voir en couleurs d’autres contrĂ©es Ă©taient lĂ©gion dans le cinĂ©ma anglo-saxon. Pourtant Emeric Pressburger et Michael Powell ont toujours eu cette Ă©tincelle qui les faisait sortir du lot, lĂ©gèrement en dĂ©calage, osant plus de choses dans leur narration.
Avec le Narcisse Noir, ils évoquent ainsi la religion pour mieux parler du désir
. Car les religieuses vont peu Ă  peu perdre la foi et succomber Ă  la tentation. Ainsi, SĹ“ur Clodagh magnifiquement campĂ©e par Deborah Kerr va se rappeler ce qui l’a conduite dans les ordres tandis que sa collègue, SĹ“ur Ruth (impeccable Kathleen Byron toute en retenue dans la folie), laissera exprimer toute sa sauvage jalousie lorsqu’un homme se mettra entre elles.

Outre son aspect classique, la thĂ©matique, la lumière et la mise en scène donnent aussi au Narcisse Noir des allures de conte fantastique versant dans l’horreur. Ainsi, l’ancien harem dans lequel s’installent les sĹ“urs parait comme hantĂ© par les occupants qui y ont vĂ©cu prĂ©cĂ©demment (ce n’est sans doute pas pour rien que les moines qui ont d’ailleurs tentĂ© d’y vivre auparavant en ont fuit). Le vent soufflant en permanence donne aussi l’impression qu’une malĂ©diction plane sur le lieu jusqu’au final dans lequel SĹ“ur Ruth paraitra comme possĂ©dĂ©e par ses pulsions. Alors que l’on penserai que l’isolement dans un tel lieu permettrait de trouver une certaine spiritualitĂ©, c’est ici tout l’inverse qu’il se passe.

Avec le Narcisse Noir, Emeric Pressburger et Michael Powell livrent une Ĺ“uvre sublime sur le dĂ©sir et la foi. Ils n’hĂ©sitent pas Ă  pousser le plus loin possible leur recherche esthĂ©tique mais aussi Ă  manipuler le spectateur pour le faire naviguer entre diffĂ©rents genres, du mĂ©lo le plus classique Ă  la sombre histoire d’effroi. Ils font du Narcisse Noir un film complet, somme de tout leur talent et des thĂ©matiques qu’ils souhaitent Ă©voquer et l’on comprend dès lors Ă  quel point il a pu influencer l’esprit des grands cinĂ©astes qui ont suivi.

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publié dans :Cinéma Culte du dimanche

  1. 18/03/2012 Ă  11:37 | #1

    J’ai Ă©tĂ© assez déçu par le film. Je trouve que le fait d’avoir tournĂ© en studio, avec du technicolor qui fait vibrer chaque couleur primaire, donne Ă  l’ensemble une allure très toc. Mais sans parler technique, le rĂ©cit n’a pas prit sur moi…
    Dans le genre occidentaux en Inde, je préfère amplement « Le Fleuve » de Renoir que je viens de découvrir qui, pour le coup, a vraiment été tourné là-bas.

  2. 23/03/2012 Ă  13:09 | #2

    J’ai dĂ©couvert le film sur grand Ă©cran en version restaurĂ©e l’annĂ©e dernière, et ça a Ă©tĂ© une belle claque esthĂ©tique. Magnifique.